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Altérité

Par Natasha Bovis (mai 2022)

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L’altérité désigne tout ce qui est autre. Dans son recueil Mythologies, dans lequel l’auteur Roland Barthes s’attache à classer différents mythes, le sociologue déclare que « c’est l’un des traits constants de toute mythologie, petite bourgeoise, que cette impuissance à imaginer l’Autre ». Il rajoute que « l’altérité est le concept le plus antipathique au « bon sens » car cette notion renvoie à la façon dont nous percevons les différences. Notre « impuissance à imaginer l’autre » est justement ce qui peut nous effrayer. Barthes considère que, confrontés à l’Autre, nous ne faisons preuve que de peu de « bon sens » puisque cet Autre nous ne le connaissons que très peu voire pas du tout : c’est la peur de l’inconnu. Ce qui est Autre ne relève pas toujours de nos perceptions, us ou coutumes. Ainsi, face à l’Autre, nous sommes confrontés à l’acceptation, ou non, de ses différences et de ses mystères.

S’éduquer et être éduqué à l’altérité, devrait permettre de mieux « vivre ensemble ». En effet, l’altérité peut aussi bien renvoyer à une ethnie, un genre ou encore une orientation sexuelle et permettre d'éduquer à la tolérance des différences. Ce concept d'Altérité est donc intrinsèquement lié à l’éducation puisque c’est elle seule qui favorise l’éveil à la différence et favorise un rapport moins belliqueux à l'Altérité. En effet, prendre connaissance de l’existence de l’autre, le reconnaître, permet de mieux appréhender et peut être amoindrir la peur enfouie que peut éveiller l’inconnu. Qu’il s’agisse d’éducation scolaire ou encore familiale, se cultiver sur la différence et sur le vivre ensemble, et ce, dès le plus jeune âge, favorise l’ouverture d’esprit, la tolérance, et, par conséquent, une meilleure appréhension de l’altérité. D’ailleurs, dans le numéro de La Nouvelle Revue portant sur " Éducation et société inclusives", Valérie Barry et Alexandre Ployé insistent sur l’importance d’une pédagogie « qui soit réellement inclusive » car, selon eux, cette dernière est bien souvent mise en place et centrée sur des « élèves dits à besoins éducatifs particuliers » alors qu'elle devrait « se généraliser à tout élève et à toute forme d’altérité » réaffirmant ainsi l’importance de l’acculturation des élèves au concept d’altérité.

C’est dans cette optique que de nombreux auteurs de littérature de jeunesse se sont emparés de cette question de l’altérité et du rapport à l’autre afin d’éveiller les plus jeunes à la bienveillance. Roald Dahl, un écrivain britannique reconnu notamment pour ses romans en littérature de jeunesse, nous raconte dans son roman Matilda (1988), les aventures d’une jeune fille éponyme dont les capacités intellectuelles sont hors du commun. Elle développe des pouvoirs de télékinésie et l’on peut observer les réactions de son entourage, positives comme négatives, et se questionner sur la raison de l’effroi que cela peut causer. Ce qui est différent peut parfois nous sembler étrange, parce qu’étranger, et nous intriguer voire nous effrayer, car perçu comme autre, alter. Cette œuvre est une entrée littéraire pour traiter du sujet de l’altérité avec des élèves du cycle 3. Une adaptation cinématographique au titre homonyme, Matilda, réalisée par Danny DeVito a permis de diffuser cette histoire sur grand écran en 1996.

Nombre d’albums de jeunesse destinés aux enfants de la maternelle à l’élémentaire (cycle 1 au cycle 3) ont également traité le sujet de l’altérité avec la plus grande sensibilité tout en faisant preuve d’une grande originalité. C’est le cas par exemple de l’album Ici, c’est chez moi (2013) de Jérôme Ruillier dans lequel un petit garçon trace une frontière à la craie pour ne pas être dérangé mais finit par apprécier la compagnie d’un autre enfant. Il accepte l’autre et la richesse émotionnelle qu’il peut lui apporter. Cette belle histoire mérite sans doute d’être revisitée sous différentes formes, voire d’être adaptée à différents genres artistiques par ou pour les élèves. Ruillier (2004, 2012) n'est qu'un des nombreux auteurs sur la question (Parr 2020) que nombre d'enseignants pourront faire revivre dans la lecture (Delporte & Graff, 2016). 

Au cinéma, la question de l’Altérité est au coeur de nombre de productions cinématographiques, comme objet du regard du public ou comme confrontation au regard de l’autre depuis les récits mis en images. Certains films se sont attachés à démontrer l’importance de l’éducation dans l’ouverture d’esprit et valoriser une éducation à la tolérance. Ils nous permettent eux-mêmes de nous éduquer par ce biais. Will Hunting a été réalisé par Gus Van Sant en 1998 et relate l’histoire d’un jeune homme prodigieux originaire d’un quartier populaire. Will ne met pas à profit son talent et passe son temps avec de mauvaises fréquentations. Il est repéré par un professeur de sciences pour ses dons en mathématiques qui l’aideront à se dépasser par le biais d’un intermédiaire bienveillant qui agrandit sa « zone proximale de développement ». Ce film évoque le rapprochement de deux individus que tout semble opposer, à commencer par leur éducation pour nous inviter à une réflexion sur le rapport à l'autre dans l'univers de l'éducation. 

Freedom Writers [Ecrire pour exister] (2007) réalisé par Richard LaGravenese, évoque l’histoire d’une jeune femme d’un naturel optimiste qui décide de prendre en charge une classe estimée difficile car tous les élèves proviennent de gangs et rejettent toute forme d’autorité. Cela se passe dans un contexte social difficile puisque cette histoire intervient au lendemain des émeutes raciales qui ont secoué la Californie. C’est par le biais de l’éducation que la jeune professeure, issue, elle, d’un milieu favorisé, espère vaincre l’hostilité de ses élèves. La plupart de ses élèves sont métissés ou noirs, alors qu'elle est blanche. Le rapport à l'altérité sociale et raciale est donc centrale dans ce film qui montre à quel point l’éducation joue un rôle positif dans la vision que nous en avons. Il traduit aussi l’importance des barrières que nous dressons parfois et qui nous conduisent à un rapport plus hostile que nécessaire à l’altérité.Les arts visuels et la littérature regorgent de récits portant sur l‘altérité. "La différence a bonne presse" nous rappelle Benoit Hervé. Si l’éducation semble aujourd’hui le moyen le plus efficace pour parvenir à créer une société dans laquelle le rapport à l’autre et l’acceptation de la différence cessent d'occasionner des violence ou des souffrances inutiles, le cinéma s'empare lui continue de mettre en scène le caractère cathartique de l'Altérité comme thématiquqe nourricière de bien des récits.

Filmographie
  • Browning  T. (Réalisateur). (1932). Freaks [Film]. Metro-Goldwyn-Mayer.

  • DeVito, D. (Réalisateur). (1996). Matilda [Film]. TriStar Pictures & Jersey Films.

  • Gracey, M. (Réalisateur). (2018). The Greatest Showman [Film]. Laurence Mark Productions, Chernin Entertainment & TSG Entertainment.

  • Lagravenese, R. . (Réalisateur). (2007). Freedom Writers [Ecrire pour exister] [Film]. [Film]  MTV Films, Jersey Films & 2S Films.

  • Pastor, A. & Naharro, A. (Réalisateurs). (2010). Yo, también. [Film]. Alicia Produce & Promico Imagen.

  • Rondon, M. (Réalisatrice). (2013). Pelo Malo. [Film]. SUDACA FILMS.

  • Truffaut, F. (Réalisateur). (1970). L’enfant sauvage [Film]. Les Films du Carrosse.

  • Van Sant G. (Réalisateur). (1998). Will Hunting [Film]. Be Gentlemen.

Références bibliographiques 

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Bande-annonce de Matilda (1996)

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Ici c'est chez moi (2013) de Jérôme Ruillier

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