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DIVERSITÉ

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Par Antoine CHARLOT (mai 2022)

D’après Alain Rey, la diversité recouvre deux sens. Le premier de l’ancien français qui reprenait le plein sens du latin, diversus, renvoyait à une bizarrerie, une étrangeté. Le second renvoie à la variété, au divers, au sens de pluralité, d’hétérogénéité. Il y a donc bien dans la langue française cette dualité qui permet d’appréhender le divers comme autre ou comme étrange. La diversité va donc se présenter à la fois comme une richesse et une menace selon les points de vue et surtout selon les expériences du divers qui s’expriment.

Alors qu’aux États-Unis, le terme de diversity, qui est employé fréquemment depuis une quarantaine d’année, renvoie essentiellement à la différence ethnique et raciale, en France, la signification est plus large et englobe également les problématiques de l’âge, du genre, du handicap, des orientations sexuelles, de la religion… Junko Takagi, dans son article « Pour une approche sociologique de la 'diversité' » , développe alors le fait qu’ « il n’y a pas de réelle définition du terme 'diversité' en France (110) où il serait utilisé, selon lui, dans un sens « plus général, et avec moins de rigueur qu’aux États-Unis » (p.110). L’usage du mot   « diversité », poursuit-il, « est plutôt vague, le mot lui-même peut recouvrir des significations aussi variés qu’imprécises, sans grande cohérence» (p.110).

Ainsi, dans nos sociétés globales, la diversité est un terme employé pour mettre en avant la pluralité des cultures qui existent au sein d’une même institution ou d’une même société. Cette notion a alors largement été diffusée dans le débat public, en France, dans les années 1990, pour mettre en avant le fait que les Français ne constituent pas un groupe ethnique homogène.

L’éloge de la diversité est souvent utilisé pour contre parer les rejets des différences ou les accusations de « communautarisme » tel que cela est posé dans le débat français. En France, ce terme de diversité est souvent associé à celui de « vivre ensemble », et cette notion-ci permet en même temps de pointer du doigt des problèmes sociaux comme la ségrégation raciale, et les discriminations de toute sorte. Ce mot est aussi parfois utilisé à des fins mercantiles et montre également les défis économiques en plus de culturels ou sociaux de la diversité.

Les grandes métropoles d’Amérique ont fait de leurs espaces urbains des « vitrines de la diversité », jouant sur la multiplicité des origines culturelles, sur le pluralisme culturel de leurs quartiers pour attirer des touristes (Chinatown, Little Italy ou Spanish, Harlem à New York). La diversité attire les touristes, elle fait vendre et cela semble une réalité, un état de fait, qu'embrasse le cinéma. Si la diversité fait désormais l’objet d’une Convention UNESCO (2005) car présente des enjeux économiques et sociaux, sanitaires, et éducatifs entre autres, elle est aussi devenu un enjeu culturel dont le cinéma n’a pas hésité à s’emparer, quoique de manières différentes, selon les pays.

Ainsi, Disney s’est transformé en la vitrine de la diversité. En effet, la multinationale américaine fait de la représentation des minorités au cinéma son fer de lance pour attirer des spectateurs. Cela se voit tout d’abord via ses dessins-animés :  Turning Red [Alerte Rouge] (2022) fait de son personnage principal une petite fille chinoise issue d’une famille sino-américaine vivant à Toronto. Le film Soul [Âme] (2020) met en avant la culture afro-américaine et Encanto (2021) montre à l’écran des personnages colombiens. Dès 2010 Disney décidait d’adopter une princesse noire  Disney s’inspire de plus en plus de l’exploration et de la valorisation de cette diversité au point de rendre invisible sur sa plateforme certains classiques de son cru que la maison ne semble plus assumer en raison de la proliférations de discriminations animées. En cause à l’origine d’une telle posture, les stéréotypes des corbeaux dans Dumbo représentés comme des voleurs pauvres, noirs et ignorants, ou encore les chats siamois aux yeux bridés dans The aristocats [Les aristochats] ou les Peaux Rouges dans Peter Pan, selon une chronique de Lescrieursduweb.com

Les représentations à caractère raciste ne sont plus tolérées. Ainsi, en découle aussi dans les films Marvel. Récemment, la mini-série Moon knight (2022) sur Disney+ mettait en avant un musulman égyptien habitant à Londres. Le film Shang-chi and the Legend of the Ten Rings [Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux] (2021) met sur le devant de la scène pour la première fois un héros sino-américain. La culture asiatique au centre du film permet, elle, de rendre compte des discriminations et de la ségrégation que subissent les afro-américains. 

C’est une vitrine plus hybridée et interagissante de la diversité dans laquelle semble Disney s’orienter avec le film Eternals [Les Éternels] (2021) de la jeune réalisatrice chinoise Chloé Zao, née en 1982, car ce film fourmille de personnages issus de la diversité : un homme noir et homosexuel, une femme métisse en situation de handicap, une femme asiatique, un homme blanc, un homme asiatique, un homme indien… Ce film de super-héros nous présente toutes les diversités unies vers un but commun. Mais cette mise en avant de la diversité par Disney est-elle un réel cheval de bataille éthique venant de la firme, ou un cheval de Troie commercial ?

Le fait est que Disney peut largement diffuser ses idées quand on sait qu’en 2019, dans le top 10 des films les plus vus dans le monde, 8 sont des films Disney.

En France et en 2019, le 4ème film du box-office français devançant des films Disney, traitait lui aussi de la diversité : Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon dieu. Le réalisateur, Philippe de Chauveron, adopte un registre comique pour ressasser des clichés présentés souvent « à table » et « en famille », par un patriarche gaulliste, notaire, et sa femme catholique et bourgeoise (Marie et Claude Verneuil). Le spectateur se confronte à ce notable de province, victime de son ignorance, évoluant tant bien que mal au travers de ses difficultés d’adaptation à une société dont la diversité vient troubler ses habitudes au travers des amours de ses quatre filles, les trois premières mariées à des hommes de culture et de confession religieuse diverses. La mixité sociale apparait alors dans une représentation burlesque du vivre-ensemble entre ajustements et différences, incompréhensions, représentations et fantasmes de cette bourgeoisie provinciale qui s’impose à nous comme dominante et porteuse d’un « modèle français » plus fantasmé que réel. 

Le film a reçu le label des spectateurs UGC avec plus de 12 millions de spectateurs alors qu’il a été jugé politiquement incorrect et raciste par nombre de distributeurs du monde anglo-saxon, le vivre ensemble à la française ne respectant pas les principes éthiques d’un multiculturalisme moins sournois, moins explicitement raciste en d'autres lieux. En effet, The telegraph a jugé le film « raciste » et « politiquement incorrect » pour des audiences britanniques ou américaines alors qu’en Espagne la critique a exalté cette « drôle de famille » reconnaissant en Chauveron un critique acerbe du modèle d’intégration à la française.  Cet écart interroge sur le traitement d’une simple palette d’acteurs issus des minorités qui joueraient des rôles voués à les ridiculiser sans en nuancer les parcours et les singularités des personnages. Pointer de cette manière, caricaturale les différences, revient à les stigmatiser et réduire ces minorités à des stigmates, renouvelant ainsi une vision raciste et racisante de l’altérité. Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon dieu donnera lieu en 2022 à Qu’est-ce qu’on a tous fait au bon Dieu ?

La représentation de la diversité au cinéma nous offre bien un résultat en demi-teinte, et pas uniquement pour des raisons commerciales. Black Panther (2018) est apparu comme une révolution avec un casting quasi exclusivement noir pour un très grand succès. Le thriller-horreur Get Out (2017) est aussi une petite révolution, car il est le premier afro-américain à gagner l’Oscar du meilleur scénario original en 2018. Mais ce progressif changement n’est pas inhérent ou propre à toutes les minorités. Par exemple, en 2020, les Asiatiques ne représentaient seulement que 1 % des nominations aux Emmy Awards. C’est une baisse de 2 % depuis dix ans. Ce manque de représentativité est aussi visible pour la communauté latino, car, selon une étude de l’Université de la Californie du Sud, sur 1,200 films réalisés en 2019, seulement 4 % d’acteurs latinos jouaient un rôle principal ou secondaire. Si la représentativité des noirs américains s’est améliorée après le discours de Spike Lee de 2015 qui en dénonçait le manque, tel ne fut pas le cas pour les autres minorités.

Le confinement et le virus du Covid auraient-t-ils vite fait d’isoler les personnes à nouveau ? En France la situation n’est pas plus équitable qu’aux Etats-Unis et le dernier film d’Omar Sy sur Netflix questionne sur la production massive, voire forcée d’un multiculturalisme au service, cette fois, de la Police. Loin du périph (2022) est le premier film sur Netflix produit par un acteur noir. Il met en scène le duo Omar Sy et Laurent Laffitte, comme membres réunis par une mission de police qui les mène à confronter l’extrême droite. Par-delà les plaisanteries racistes et homophobes de ce film réalisé par Louis Leterrier, qui nous rapproche d’avantage du Starsky et Hutch dans le New York des années 70 que ne nous permet de traverser réellement le "périph" parisien des années 2020, on avance sans encombre avec tous les clichés racialisants et homophobes ou virilistes  connus de tous. Allan Blanvillan prétend, dans le journal du geek en ligne : « Loin du périph ne parvient pas à camoufler bien longtemps son statut de production commandée pour enrichir un catalogue qui se fiche bien du moment passé, tant qu’on le passe sur la plate-forme. Il n’y a pas que le périph qui est loin, le plaisir aussi. »

La représentation de la diversité au cinéma, entre idéologies et dogmatismes, entre laicité à la française et multiculturalisme à l’américaine, vient se poser donc dans un catalogue de plateformes gourmandes qui s’est élargi bien au-delà des deux nations évoquées. Ainsi des séries comme la série italienne Zéro inspiré d’un récit autobiographique d' Antonio Dikele Distefano, Non ho mai avuto la mia età. Cet immigré sénégalais incarne un héro noir à Milan face à la mafia des lieux. En Espagne, c’est par la femme embourgeoisée d’un scientifique madrilène que le déclassement et les transfuges de classe se parlent, pour une autre forme de diversité, celle ou le capital n’assure pas toujours le bonheur ou la séparation entre les classes sociales (La familia perfecta).

La diversité semble donc devenir une fable tautologique en quête d’acteurs et de producteurs pour nous rappeler que sous la focale anthropocène de certaines représentations ce n’est pas celui qui court avec les drônes les plus rapides ou les poches les plus remplies qui arrivera le premier au Paradis. D'ici là on s'efforce de nous montrer le divers en action. 

 

Références filmographiques
  • Bush J. & Howard, B. (Réalisateurs). (2021).  Encanto. Walt Diseny Pictures et Walt Disney Animation Studios

  • Cho, J. & Shi, D. (Réalisateurs). (2022). Turning Red [Alerte Rouge] [Film]. Walt Disney Pictures, Pixar Animation Studios.

  • Cretton, D. D.  (Réalisateur). (2021). Shang-chi  and the Legend of the Ten Rings [Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux] [Film]. Marvel Studios. 

  • Coogler, R. (Réalisateur). (2018). Black Panther [Panthère noire] [Film]. Marvel Studios.
  • de Chauveron, P.  (Réalisateur). (2019). Qu'est-ce qu'on a encore fait au Bon Dieu ? ֵ [Film]. Les Films du Premier.
  • de Chauveron, P.  (Réalisateur). (2021). Qu'est-ce qu'on a tous fait au Bon Dieu ? ֵ [Film]. Les Films du 24.
  • Dikele Distefano, A. (Réalisateur). (2021). Zero [Film]. Netflix. 
  • Docter P. & Powers K. (Réalisateurs). (2020). Soul [Âme] [Film]. Pixar Animation Studios. 
  • Echevarría, A. (Réalisatrice). (2021).  La familia perfecta. Netflix.
  • Hogan, P.J. (Réalisateur). (2003). Peter Pan [Film]. Universal Pictures, Columbia Pictures, Revolution Studios, Red Wagon Entertainment @ Allied Stars Ltd. 
  • Leterrier, L. (Réalisateur). (2022). Loin du périph [Film]. Mandarin Films.

  • Peele, J. (Réalisateur). (2017). Get Out [Film]. Blumhouse Productions.

  • Reitherman, W. (Réalisateur). (1970). The aristocats [Les aristochats] [Film].  Walt Disney Productions. 

  • Slater, J. (Réalisateur). (2022). Mooon Knight [Chevalier de la lune] [Film]. Walt Disney Productions.

  • Zhao, C. (Réalisatrice). (2021). Éternels [Eternals] [Film]. Marvel Studios.

Références bibliographiques

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Afin de promouvoir la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelle et d'accroître sa visibilité aux niveaux national, régional et international, les Parties à la Convention ont adopté un emblème représentant ses principes et objectifs.

L'emblème a été adopté par la Conférence des Parties de la Convention en juin 2013.

https://fr.unesco.org/creativity/convention/emblem

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