Névrose de clase

par Teekshanya Thirumagal PARTIBANE (mai 2022)

La névrose de classe est une expression qui désigne les conflits psychologiques liés au déclassement social. Nous devons la locution au sociologue Vincent de Gauléjac, selon qui:

Le terme de névrose de classe est ambigu sur le plan théorique, parce qu’il tend à associer une notion clinique et une notion sociologique qui n’ont pas de lien direct entre elles : les classes ne sont pas névrosées, les névroses ne dépendent pas des classes sociales (26).

Gauléjac utilise ici le terme de névrose non pas comme en psychanalyse pour décrire un « mode de structuration psychique» mais plutôt « pour décrire un tableau clinique» (26). L’expression est donc employée selon son auteur pour qualifier les « conflits psychologiques liés à un déclassement » (26). In fine, cette notion permet « permet de caractériser un tableau clinique qui décrit la symptomatologie des individus qui changent de position dans la structure de classe.» (26).

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Au cinéma, la représentation des classes sociales, qu’elles soient populaires ou aristocratiques, rencontrent toujours une vaste audience d’un public friand de comprendre son univers d’appartenance ou ses ambitions. De fait, s’il est une chose que le cinéma sait rendre compte, c’est bien des rapports interclasses. Certes, selon les périodes et les lieux, la représentation des classes populaires est plus ou moins répandue et le cinéma d’auteur français tend à préférer les classes moyennes ou supérieures aux classes populaires. C’est du moins ce que constate jusqu’aux années 1990 Rahpaëlle Moine, qui décèle alors l’arrivée d’un nouveau « cinéma social», avec pour exemple des films comme Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (Jean-Pierre Jeunet, 2001), devenu l’un des plus gros succès commerciaux français largement diffusé de par le monde. Cette popularité est sans doute liée à la capacité du film à figer une image romantique et romancée d’un Paris bercé par la nostalgie et le quotidien des classes populaires dans un village « nettoyé de sa polysémie ethnique, sociale et sexuelle selon la rubrique Rebonds dans Libération du 28 et 31 mai 2001. Il y a donc névrose de classe des producteurs ou directeurs, nostalgiques ou en conflictualité, comme l'a montré François Truffaut dans Les 400 coups (1959) ou Alfonso Cuarón dans Roma (2018) et de manière plus marquée Alejandra Márquez Abella dans La Bonne Réputation (2019) sur le déclassement social d’une riche famille confrontée à la crise économique mexicaine de 1982.

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En France c’est sur une analyse cinématographique sans ambages, que Serge Tisseron  polarise la névrose familiale de type tribale et solidaire d’origine maghrébine, à la névrose familiale à la française, plus individualiste, pour rendre compte de comment Le Prix du succès (Teddy Lyssu-Modeste, 2017) vient à nous demander si  « Réussir c’est trahir ? ».

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Outre-Atlantique Disney a préféré une comédie musicale en 2021, Encanto, pour revisiter les « névroses familiales sur un air de Cumbia» (La Croix). Il semblerait que le statut social devienne une obsession sans limites qui, dans certains films comme Parasite (Bong Joon-ho, 2019), transforme ces névroses en crime social. 

Gaulejac rappelle d'ailleurs que : « la névrose de classe spécifie un conflit qui émerge au croisement de l’histoire personnelle, l’histoire familiale et l’histoire sociale » (33). Dans les films qui touchent à l’éducation, la représentation des névroses de classe est devenue très répandue, et en particulier dans la production sérielle des plateformes telles que Netflix qui regorgent d’aventures à ce carrefour précis entre l’individuel, le familial et le collectif. La série espagnole Élite est une série télévisée créée par Carlos Montero et Darío Madrona en 2018. Le lycée privé proche de Madrid, Las Encinas, devient le scénario de l’intégration de trois personnages issus des classes populaires. Cette série aborde divers thèmes sociaux, dont les iéngalités et les rapports de domination qui en découlent dans un environnement où l'argent, le pouvoir et les privilèges règnent en maîtres. Ce genre de série assume de manière très décomplexée les inégalités sociales et les injustices qu’elles représentent sur le portrait de névroses de classe incarnées par des personnages types: le pauvre qui ambitionne de devenir riche sans arriver à s’intégrer dans les milieux fortunés, autant que la fortunée qui craint à tout instant de tomber de sa tour d’ivoire. En ce sens et conformément aux propos de Gaulejac pour les individus, les personnages au cinéma sont des produits tout autant que des producteurs d’une société qui reconnaît ses classes. Et l'on pourrait dire ici, ses classes sociales autant que scolaires.  En effet, les classes et amphithéâtres sont aussi des lieux de représentations de toutes les névroses de classe d’autant qu’elles deviennent aussi le lieu de l’observation clinique de leurs symptômes.

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Par ailleurs, les névroses de classe représentées au cinéma ont la particularité de nous parler des éducations attendues dans les univers qui désirent se distinguer. C’est en particulier le cas de la série coréenne My Golden Life (Kim Hyung-Suk, 2017) de KBS Drama Production, qui s’efforce de nous rappeler que l’éducation à suivre au sein de certaines classes sociales est sans équivoque marquée par le pouvoir financier de celles et ceux qui peuvent y prétendre, autant que le caractère irréprochable d’un comportement social sans faille attendu qui se doit d'en découler.   

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