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Fautographie

Par Mélanie ALCINDOR (mai 2022)

L’erreur est l' « Acte de l'esprit qui tient pour vrai ce qui est faux et inversement » (Rey, 622). C'est aussi « un écart de conduite » (Rey, 622). Dans sa seconde acception l'erreur est une « chose erronée, élément inexact » (Rey, 622). Elle peut donc être le fait d'une intention ou d'une maladresse. Ce peut aussi être un acte manqué, voire un acte susceptible de produire du faux. C’est pourquoi l’erreur est bien souvent condamnable voire méprisée.

L’erreur est un acte maladroit, ce peut-être un acte manqué, voire un acte susceptible de produire du faux. C’est pourquoi l’erreur est bien souvent méprisée. Cependant, Clément Chéroux, dans son livre Fautographie. Petite histoire de l’erreur photographique (2003) démontre que l’erreur peut faire partie du processus artistique, voire l’augmenter.

Sylvie Aubenas situe l’auteur :

dans cette branche très actuelle de l'histoire de la photographie qui délaisse les biographies, les études d'écoles, de techniques, etc., pour envisager certains corpus d'images anciennes à travers l'art du xxe siècle et leur influence sur celui-ci. Son travail est ainsi dans la lignée de Michel Frizot, de Philippe Néagu, de Pierre Apraxine, et sa sensibilité répond à celle de collectionneurs comme Bernard Garrett, Thomas Walter ou Gérard Lévy, également partagée par quelques galeristes et experts. La contribution apportée ici à cette tendance est décisive pour sa justification théorique. 

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Chéroux a en effet considérer l’erreur photographique comme processus cognitif et revient sur la modalité du visible si chère à Georges Didi-Huberman. L’erreur photographique peut avoir plusieurs causes comme une mauvaise préparation du négatif, la production non intentionnelle d’un flou ou encore la double exposition. De plus, le matériel photographique des premiers temps, fragile et sensible, laissait une grande marge de possibilité à l’erreur de se produire, voire reproduire. Dans son essai, Chéroux étudie des photographies du XXème siècle et note que les manuels de photographie dès la fin du XIXème siècle ne s’attachaient qu’à décrire les types d'erreurs possibles et les marches à suivre pour les éviter, afin de définir ce qu’était une “bonne” photographie. C’est cette notion de la photo “parfaite” qui va être remise en cause par Chéroux tout au long de son étude. Pour Chéroux, l’erreur est une forme de narration au-delà de l’image qui montre les intentions du photographe, ses difficultés — peut-être dues à un manque d’expertise — et bien plus encore. Ainsi, l’erreur n’est plus à bannir selon Chéroux, à dénigrer mais à la possibilité pour des analyses au cœur même de la pratique de venir resignifier l’acte de création.

 

Cette acceptation de l’erreur peut être reproduite dans bien d’autres domaines. Comme Chéroux le rappelle dans l’introduction de son livre, l’écrivain et essayiste Jorge Luis Borges appréciait particulièrement les erreurs quelles qu'elles soient et pensait qu’elles permettaient d’enrichir ses écrits.

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La notion de fautographie nous est apparue utile pour l’analyse cinématographie pour au moins deux raisons. La première concerne l’intérêt didactique afin d’analyser les scènes dites "ratées" qui se sont retrouvées gardées au montage des films et qui nous permettent de comprendre la part de l’improvisation dans un art audiovisuel comme le cinéma. Voici quelques exemples en ligne de " ratés " (également au bas de cette page)

Nous pouvons dès lors en retenir l’intérêt cognitif, artistique ou didactique ne serait-ce que pour enseigner aux élèves à prêter une attention aux détails du montage.

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Une seconde raison est que la fautographie part du principe qu’il n’y a pas de « raté ». Le cinéma, on le sait, aime tout comme la littérature à s’emparer des parcours de personnages marginaux, aux trajectoires parfois stigmatisées comme celles des ratés mais dont la narration même vient nous signifier quelque chose.

C’est l’écriture cinématographique des élèves pas comme les autres, certains parfois considérés aussi comme des ratés, cette fauto/graphie filmique qui devient alors intéressante. Ainsi par exemple ne pourrait-on pas retrouver dans les films autobiographiques portant sur l’école et concernant des cinéastes (voir Les 400 coups de Truffaut), un intérêt particulier pour les scènes d’écriture qui traversent un parcours de vie peut-être hors des sentiers battus mais pourtant bien ponctués par les scènes d’écriture et de lecture qui renvoient à une normativité scolaire assez éloignée de la créativité du cinéaste. Ne pourrait-on pas dire que Truffaut rend hommage, dans son cinéma, à la fautographie scolaire ?

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C’est enfin une notion à rapprocher de celle des « faux-semblants » appliquée au documentaire selon François Niney (2009, 2015), et qui fait partie de ces notions exploitées pour expliciter les effets de certains contenus cinématographiques, proches de certaines notions didactiques (faute/erreur, Vraisemblance/authenticité, apprentissage par cœur/expérientiel…). On peut par leur biais mesurer l’impact sur la connaissance des méthodes d’apprentissage et l’insondable proximité ou antagonisme que voir et apprendre invitent à considérer.

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Clément Chéroux est conservateur pour la photographie au Centre Pompidou. Pour le découvrir, vous pourrez écouter sa conférence intitulée "Comment photographier la pensée" dans le contexte de l'exposition organisée par Joseph Keller et portant sur trois photographies d'Armando Salas Portugal, l'un des "grands photographes mexicains de la seconde moitié du XXè siècle, photographe de l'architecte mexicain Luis Baragán.

Conférence de Clément Chéroux

Pour découvrir "Fotografías del Pensamiento" voir Diaporama de la Gallery Feijo par ici : https://www.galeriafreijo.com/es/exposiciones/programa-general/fotografias-del-pensamiento

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Filmographie :
  • Sciama, C. (Réalisatrice). (2019). Portrait de la jeune fille en feu [Film]. Lilies Films.

  • Truffaut, F. (Réalisateur). (19). Les quatre cents coups [Film]. Les Films du Carrosse, Société d'exploitation et de distribution de films (SEDIF Productions).

 
Références bibliographiques :
  • Aubenas, S. (2004). « Clément Chéroux, Fautographie. Petite histoire de l'erreur photographique, Crisnée (Belgique), Yellow Now, 192 p., ill. NB et coul.,19 E. ».  Études photographiques [En ligne], 15. URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/402

  • Cheroux, C. (2002). Fautographie (1re éd.). YELLOW NOW.

  • Niney, F. (2009). Le Documentaire Et Ses Faux-semblants (50 Questions). Klincksieck.

  • Niney, F. (2015). L’épreuve du réel à l’écran (Arts et cinéma) (DE BOECK éd.). DE BOECK SUP.

  • Rey A. (2005). Dictionnaire culturel en langue française. Tome II.  Dictionnaires Le Robert.

Ressources pédagogiques
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