Précocité scolaire
Par Marie ISAAD (février 2024)
La précocité scolaire se pense et se dit de différentes manières. On parle d’:’”enfant intellectuellement précoce” (EIP - l'acronyme qui a aussi été adopté par l’Éducation nationale en France), d’ ’”enfant surdoué” ou d’ ”enfant à haut potentiel” (intellectuel ou émotionnel) (HPI-HPE). D’après Laurence Lalande, directrice d’une école pour élèves surdoués, la précocité scolaire se distingue ainsi par une compréhension rapide et une excellente mémoire, une extrême sensibilité, une très bonne maîtrise du langage (ce qui ne signifie pas pour autant que l’enfant commence à parler plus tôt que les enfants non-précoces), une soif de savoir et de curiosité, un esprit perfectionniste et une affection pour le jeu (la recherche de la difficulté). Lalande précise cependant que l’enfant surdoué est un enfant “qui pense différemment des autres” (2015).
L’une des questions principales que soulève la précocité scolaire est l’adéquation pour ces enfants d’un système éducatif qui n’a pas été pensé pour elles ou eux et qui, depuis même la formation des enseignants, n’est pas une thématique qui se montre pleinement intégrée aux pratiques professionnelles. Jean-Jacques Terrassier parle d’ailleurs de «précocité embarrassante» (2020).
D’un côté, certains pensent qu’il est indispensable d'exploiter les talents de l’élève précoce pour qu’il puisse progresser – c’est la position de plusieurs pays de l’Europe de l’Est, qui instaurent des écoles spécialisées pour les enfants particulièrement doués en mathématiques, en sciences ou en musique. De l’autre des pays comme le Zimbabwe et le Royaume-Uni, qui font le choix d’instaurer un financement permettant d’accorder une bourse à ces élèves pour pouvoir étudier dans une école ayant d’excellents résultats académiques. Et puis l’on a le cas des pays scandinaves, qui misent sur l’égalité de tous, en intégrant les élèves surdoués comme les autres dans un cadre scolaire normal. En revanche, en Amérique du Nord, ces élèves reçoivent un enseignement par des enseignants qui ont été spécialement formés.
En France, 2 à 5% des élèves sont concernés par la précocité scolaire. Ils font partie des élèves dits «à besoins éducatifs particuliers» (BEP), là où l’école serait surtout celle qui semblerait ne pas être en capacité de répondre à des profils de type haut potentiel. Le réseau d’écoles “Arborescence”, créé en 2009, propose une pédagogie s’adaptant spécifiquement aux enfants HPI, et le collège Danielle Mitterrand à Saint-Paul-lès-Dax (Landes) a mis en place un dispositif pour mettre fin à la phobie scolaire qui touche les enfants précoces. Ces solutions restes rares et locales en France.
La précocité scolaire au cinéma
La précocité scolaire est un thème qui intéresse spécifiquement le cinéma de l’éducation et nombreux sont les exemples issus de la production américaine. Good Will Hunting (Gus Van Sant, 1997) est assurément l’un des films culte sur ce sujet, qui tisse par ailleurs la problématique à celle de la délinquance et du décrochage scolaire. Will, un orphelin qui a longtemps été maltraité par son père adoptif. Il possède un don extraordinaire pour les mathématiques, bien qu’il ne travaille que comme homme de ménage à l’université Massachusetts Institute of Technology. Un professeur de mathématiques le surprend un jour en train de résoudre des équations complexes et lui propose de le faire libérer de prison en échange de travailler avec lui et de voir un thérapeute chaque semaine. Se déploie alors la confrontation d'un haut potentiel à l'opportunisme scientifique et académique d'une société utilitariste. A la croisée des ambitions professionnelles de ce chercheur et de son thérapeute Will, encore fragile et en construction peine à se dégager de leurs emprises. Sans doute le succès de ce film est lié à l’extraordinaire interprétation du « psychologue-cinéaste » Robin Williams, qui rend possible une comparaison entre le métier de psychologue et celui de cinéaste, même si d’une façon différente de celle développée par le pédagogue Decroly (1871-1932), qui utilise notamment ses films à des fins de recherche psychologiques et pédagogiques, dans l’optique où le film permet une meilleure observation de l’enfant (Wagnon, 2013).
Dans Carrie Pilby (Susan Johnson, 2016), une élève surdouée diplômée de l’Université de Harvard vit désormais en ermite chez elle, enfermée dans la solitude, tant sur le plan professionnel que personnel et amoureux. La précocité de Carrie ne profite pas à un parcours de haut potentiel intellectuel et se transforme plutôt en la source de bien des difficultés.
Gifted [Mary] (Marc Webb, 2017) met en scène le personnage de Mary Adler, une fillette de 7 ans surdouée, et en particulier dans le domaine des mathématiques. Au travers de ce film s’impose la reconnaissance des besoins spécifiques de l’élève précoce: quelle école, quel système éducatif, quelles méthodes pédagogiques, etc. On retiendra notamment une réplique culte de Mary: “Frank dit que je ne dois pas corriger les grandes personnes. Les gens n’aiment pas les “je-sais-tout””, qui scelle le signe d'une distinction encore mal appréciée ou valorisée, comme le confirme par ailleurs la recherche, en ce qui concerne la censure sociale des élèves précoces (Clark et Shore, 2008).
Filmographie
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Evans, C. (Réalisateur). (2017). Gifted [Mary]. [film]. FilmNation Entertainment.
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. Van Sant, G. (Réalisateur). (1997). Good Will Hunting. [Will Hunting]. [film]. Miramax.
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Johnson, S. (Réalisatrice). (2016). Carrie Pilby. [film]. Braveart Films.
Références bibliographiques
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Lalande, L. (2015). Réconcilier l’enfant surdoué avec l’école. Eyrolles.
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Clark, C. et Shore. B (2008). L’éducation des élèves à haut potentiel. UNESCO.
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Wagnon, S. (2013). Ovide Decroly: le cinéma au service de la psychologie de l'enfant ?. Le Télémaque, 44, 99-112. https://doi.org/10.3917/tele.044.0099
Bande-annonce de Gifted [Mary] (Marc Webb, 2017)