Male gaze ou Regard Masculin
Par Julie CORRE (mai 2023)
Le male gaze a été défini par la scénariste britannique Laura Mulvey, dans son article « Visual Pleasure and Narrative Cinema » (1975), comme étant le regard masculin au travers d’un objectif, généralement celui d’un homme hétérosexuel. Ce regard placé sur des femmes, souvent soumises ou dominées, se montre comme une appropriation visuelle de leur corps au travers d’une caméra, d’un appareil photo ou d’un pinceau et, d’une perspective masculine du désir qui force à la réification des corps féminins.
Dans son article, Mulvey analyse le cinéma hollywoodien pour démontrer l’existence et la persistance du male gaze. Elle s’appuie sur les théories freudiennes qu’elle juge « misogynes » pour montrer ce regard dont l’inconscient collectif de la société patriarcale a structuré le récit cinématographique (Mulvey, 1975, p.6). Pour Mulvey il s’agit de lutter contre la structuration langagière de l’inconscient caractérisée par un langage patriarcal.
Ce concept, au cinéma, va être distinguer par trois regards celui de la diégèse qui comprend le déroulé de l’histoire, celui de la caméra, nous y reviendrons plus tard et celui du spectateur. Ce sont ces trois regards qui définissent un film et qui sont intimement liées et dépendants les uns des autres. La diégèse va imposer un axe au film, va le structurer, c’est donc dans l’écriture d’un film, que l’on va retrouver en premier le male gaze. En effet, le sujet abordé, les dialogues des personnages, tout cela va orienter le film et donc orienter la manière dont le film va être perçu par le spectateur. L’imbrication de ces trois regards permet de définir le regard du cinéma et son orientation.
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Au festival International de Toronto, en 2016, Jill Soloway, dramaturge et scénariste, réalise un discours reprenant l’article de Mulvey, afin d’expliquer son approche au cinéma et sa vision du regard. Soloway parle de ces trois regards qui définissent le male gaze. Iel dénonce toute l’industrie hollywoodien en montrant la non réalité de ces films. C’est donc par le female gaze qu’iel explique son cinéma et sa manière de le filmer.
Le close up ou le gros plan, vont ainsi se transformer en deux techniques permettant de morceler les corps observés, les objectiviser, les réifier dans un cadrage de l’« intime » puisqu’il a pour objectif de se centrer sur une partie du corps. Le regard se libère dans un voyeurisme spectatoriel, qui extrait le spectateur du voyeurisme de l’intime lorsque le film est vu au cinéma, ce qui était le cas en 1975.
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Généralement, ce sont des scènes qui sont dites gratuites sans aucun intérêt, à part montrer une domination visuelle sur le corps d'une femme objet. Le close up permet ainsi au spectateur de toucher du regard ce corps objet soumis. Ce n’est pas la personne qui est mise en avant mais bien son corps sexué, ce qui éveille les fantasmes pour le spectateur au travers d’une éducation au regard pornographique.
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Le male gaze était d’autant plus omniprésent dans les films qu’il n’avait pas été théorisé, voire même conscientisé et a pu se répandre au travers de grandes productions largement diffusées, dans de grand succès tel que ceux des James Bond ou de Star Wars qui avec le temps ont fini par impacté sur les regards que portaient d’autres cultures aux personnes. Ce regard masculin est un regard réifiant et donc sexualisant qui se veut pornographique.
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Sous ce regard, la femme est généralement présentée comme consommable selon un désir masculin d’un certain type promoteur des critères de beauté et de séduction sexistes. Le male gaze, reproduit une représentation biaisée de la femme, qui reflète l’apologie du sexisme, une certaine idéologie de la féminité, au travers de représentations qui éduquent le regard à certains types de plaisirs masculinistes.
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Ce type de regard correspond à une pédagogie de la cruauté qui reproduit dans le temps stéréotypes et clichés au service de masculinités dominantes. Le male gaze crée une naturalisation, voire une normalisation des violences faites aux femmes par la divulgations de différentes pratiques délictuelles comme cela se produit dans la banalisation du viol par exemple.
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L’illustratrice Alison Bechdel a créé un test composé de 3 critères permettant de mettre en lumière la sous-représentation des femmes dans certains films, de questionner le public et de l’inviter à conscientiser son regard. Malheureusement, moins d’un film sur deux passe le test.
Le male gaze ne s’arrête pas au cinéma. Le monde audiovisuel en est empreint et, les réseaux sociaux n’y échappent pas, ils sont même une arme de reproduction de ses pédagogies.
L’article de Laura Mulvey a été écrit en 1975. Plus de 2 générations se sont écoulés depuis sa publication. Laura Mulvey a eu le courage de dénoncer tout un système sexiste, patriarcal et inégalitaire. Mais aujourd’hui les choses avancent doucement et c’est Laura Mulvey elle-même qui, avec du recul et en ayant observé les changements, admet au Festival International du film indépendant de Bordeaux que son article est un peu trop « binaire » et que l’on ne peut faire une généralisation de tout.
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La réception critique du « regard féminin » a d’ailleurs été particulièrement attentive à ne pas retomber dans des essentialismes qui reproduisent des stéréotypes.
Par ailleurs, le cinéma lui-même a réussi dans cette ère post #MeToo à faire des propositions adaptées. Mais aussi après la médiatisation de l'affaire Weinstein, ce regard s’est placé au centre des débats. Il y a donc eu un cinéma après ces scandales et dénonciations, un cinéma plus égalitaire, plus engagé, qui dénonce des faits de société sans romantisme ni exagération.
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De par l’étendue temporelle et géographique de leur contenu, les séries ont un pouvoir pédagogique redoutable. Certaines ont fait le choix de déployer le point de vue des femmes. La série Big Little Lies filme la vie de différentes mères dans leur quotidien, avec leurs problèmes, leurs sensibilités, leurs familles, leurs relations respectives de leur point de vue, sans les mettre dans une case bien précise mais qui nous permet au contraire de, les découvrir en tant qu’êtres humains avant toute chose. C’est donc une série qui combat le male gaze tout en offrant une fresque de ce que vivre sous ce regard masculin implique, leur combat et concessions.
Légende
Filmographie :
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Champion, J. (Réalisatrice). (1993). La leçon de piano [Film]. Jan Chapman Productions
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Kelly, David E. (Réalisateur). (2017-2019). Big Little Lies [Série]. HBO
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Miller, B. (Réalisateur). (2017-2022). La servante écarlate [Série]. Hulu
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Penn, A. (Réalisateur). (1967). Bonnie and Clide [Film]. Warren Beatty
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Reichardt, K. (Réalisatrice). (2016). Certain Women [Film]. Films IFC
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Truffaut, F. (Réalisateur). (1959). Les Quatre Cents Coups [Film]. Cocinor
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Bibliographie :
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Barron. (2021). Women’s Lived Experience and the Male Gaze in Big Little Lies. Journal of Popular Culture, 54(5), 1073–1094.
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France Culture. (2020, 9 mars). Contrer le "male gaze" grâce aux séries - #CulturePrime [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=0PKkcPY23mg
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Lavelle, V. (2022, 23 février). Qu'est-ce que le male gaze ? Définition, exemples et alternative - Celles qui osent. Celles qui osent. https://www.celles-qui-osent.com/qu-est-ce-que-male-gaze/#:~:text=Il%20désigne%20la%20manière%20dont,les%20yeux%20du%20spectateur%20masculin.
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Mandelbaum, J. (2021, 15 octobre). Laura Mulvey : « Aujourd’hui encore, je ne comprends pas le destin qu’a eu mon article sur le “male gaze” ». Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/10/15/laura-mulvey-aujourd-hui-encore-je-ne-comprends-pas-le-destin-qu-a-eu-mon-article-sur-le-male-gaze_6098563_3246.html
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Mulvey, L. (1975). Visual Pleasure and Narrative Cinema. Screen.
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Soloway, J. (2016, 11 septembre). THE FEMALE GAZE | topple. topple. https://www.toppleproductions.com/the-female-gaze/
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Zapperi, Giovanna. « Regard et culture visuelle », Juliette Rennes éd., Encyclopédie critique du genre. La Découverte, 2021, pp. 654-664.
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