Plan rapproché
Le réalisateur Jean Epstein exprime les bouleversements de vision opérés par le cinéma : les techniques du plan rapproché ont fourni – à notre sensibilité, notre imagination – des aspects du monde [...] plus fins et plus profonds que les données que nous aurions pu recueillir directement à l’aide de nos seuls sens (Jean Epstein, 1926, page 91).
Jacques Aumont et Michel Marie nous expliquent que les mots « cadrer » et « cadrage » sont apparus avec le cinéma, pour désigner l’aboutissement à une image vue sous un certain angle (2016, page 41).
Le plan rapproché est une technique consistant à cadrer le ou les personnages au-dessus de la ceinture : cette technique est souvent utilisée dans les films car elle permet de mettre l’accent sur les émotions ressenties par les différents personnages en se rapprochant d’eux. Les expressions de visage du personnage sont alors davantage soulignées : en effet, le plan rapproché met en lumière la partie la plus expressive de leur corps, à savoir le regard en intégrant des détails plus perceptibles que dans un plan général. Le plan rapproché permet ainsi au spectateur de se rapprocher davantage de l’objet filmé. Ce cadrage est plus intime et accroît la proximité entre le spectateur et le personnage ou l’objet filmé en plan rapproché . Il est intéressant de constater que ce type de plan est également utilisé en journalisme afin de mettre l’accent sur une situation particulière pour que le spectateur comprenne mieux son enjeu.
L’échelle des plans fait partie de techniques de base que le réalisateur manipule. Il est essentiel de savoir quelle grandeur donner aux personnages, aux objets et aux éléments du décor, quelle proportion accorder aux sujets par rapport au cadre, et surtout quel effet cela va créer. En effet, un plan est un choix, et tout choix de mise en scène répond à une intention.
Dans le cinéma portant sur l’éducation, le plan rapproché est utilisé dans les films pour mettre en valeur un personnage ou un objet. Par exemple, le plan rapproché est utilisé dans le film La vie scolaire de Grand Corps Malade, Mehdi Idir, sorti en 2019. L’histoire d’une conseillère pédagogique d’éducation (CPE) occupant un poste dans un établissement scolaire réputé difficile à Saint Denis nous est racontée. On y traverse les difficultés sociales, psychologiques et cognitives de cette conseillère afin de rendre compte de la réalité du personnel enseignant et des jeunes. Dans ce film, à 51’50, le réalisateur choisit d’opter pour un plan rapproché sur la conversation entre la CPE et un élève qu’elle croise dans les couloirs. Dans cet échange, la CPE annonce à l’élève qu’elle a parlé à son professeur de musique : elle souhaite que l’élève approfondisse son intérêt pour cette matière. Elle propose donc de demander à la professeure de musique s’il peut assister à certains cours supplémentaires. Dans cet exemple, le plan rapproché permet de rendre davantage visible leurs émotions et de valoriser l’accompagnement bienveillant de la CPE. Les expressions faciales de la CPE et de l’élève nous permettent de mieux comprendre les enjeux de cette scène. Nous découvrons qu’il s’agit d’un élève habituellement peu intéressé par les cours qui prête une attention particulière, néanmoins, aux cours de musique.
Le plan rapproché est également présent dans le film Good Will Hunting, réalisé par James McAteer. En effet, on y découvre l’intimité des rencontres entre un psychiatre et le jeune Will Hunting. À 37’57, le psychiatre s’intéresse à la vie de Will en lui posant plusieurs questions, cependant Will est réticent à y répondre. Lors de cette séance de thérapie, le plan rapproché nous permet de mieux comprendre les émotions qui agitent Will et la bienveillance dont le psychiatre fait preuve à son égard dans une posture éducative empathique
Cependant, le plan rapproché n’est pas simplement une technique de distanciation. En effet, la réalisatrice et féministe britannique Laura Mulvey entend le découpage du plan rapproché comme un moyen de transformer le corps de la femme. Laura Mulvey soutient que “les femmes dans le cinéma sont liées au désir et que les personnages féminins ont une apparence codée pour avoir un fort impact visuel et érotique”. L'actrice féminine n'est pas censée représenter un personnage qui affecte directement l'issue d'une intrigue, elle est insérée dans le film pour être objectivée sexuellement. Le plan rapproché porte en lui un potentiel pédagogique et patriarcal d’une puissance relevée par Mulvey, au service de la banalisation du sexisme ou de certaines formes de violence. Dans le cinéma de l’éducation français, on y découvre avec François Truffaut dans Les 400 Coups (1959) une scène d’écriture au cours de laquelle l’un des élèves refait infiniment son travail en déchirant systématiquement son écrit (7’50). Cette répétition de cette déchirure dans une scène d’écriture auto-censurée se fait par le biais d’un long plan rapproché. Il vient nous rappeler que l’école de la jeunesse de Truffaut tuait toute forme de créativité. Le chercheur Ken Robinson expose cette idée dans un Ted Talk devenu célèbre dans lequel il s’interroge sur la relation de l’école à la créativité (Ken Robinson, 2006, Ted Talk). En effet, dans cette conférence, Ken Robinson souligne le fait que les écoles privilégient l’intelligence académique et la réussite purement scolaire au détriment des matières dévalorisées et donc facultatives telles que l’art et la musique.
Nous pouvons donc conclure que le plan rapproché est une technique simple consistant à rapprocher la caméra de l’objet du regard. Cette technique éveille néanmoins des émotions complexes au service de différentes pédagogies allant de la bienveillance et la générosité à la réification des corps et des formes d'autorité non savantes. C'est pourquoi le cinéma de l'éducation en est friand car il nous permet de nous rapprocher des problématiques soulevées.
Par Tara DEWEK (mai 2023)
Filmographie
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Truffaut, F. (Réalisateur). (1959). Les 400 Coups. [Film]. Les Films du Carrosse. SEDIF Productions.
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Van Sant, G. (Réalisateur). (1997). Good Will Hunting [Le destin de Will Huntin]. [Film]. Miramax.
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Idir, M. et Grand Corps Malade (Réalisateurs). (2019). La Vie Scolaire. [Film]. Mandarin Cinéma. Kallouche Cinéma.
Références bibliographiques
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Epstein, J. (1926). Le cinématographe vu de l’Etna. Les écrivains réunis.
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Aumont, J. et M. Marie. (2016). Dictionnaire théorique et critique du cinéma. Armand Colin.
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Mulvey, L. (1975). Visual pleasure and narrative cinema. Screen, 16.3, pp. 6–18. Consulté le 22 mai 2023 sur https://doi.org/10.1093/screen/16.3.6
Bande annonce de La vie scolaire (Grand Corps Malade, Mehdi Idir, 2019)
Bande annonce de Will Hunting (Gus Van Sant, 1997)