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Female gaze ou Regard Féminin

Par Laetitia BLANC (mai 2022)

Laura Mulvey (1941), critique britannique, militante féministe devenue cinéaste d’avant-garde dans les années 70 a théorisé en 1975 le male gaze, une notion issue d’une œuvre pionnière des études filmiques « Visual Pleasure and Narrative Cinema » (1975) grâce à laquelle Mulvey signifie la façon dont les films étaient structurés par l’inconscient de la société patriarcale. Ainsi, elle a montré comment les personnages féminins sont représentés comme objets du regard, à la fois des réalisateurs mais aussi des spectateurs, pour leur plaisir voyeuriste. Mulvey affirme une utilisation politique de la théorie psychanalytique freudienne pour dénoncer le phallocentrisme de grand nombre de films animés par une « pulsion scopique ».

Si l’irruption du mouvement #MeToo se fait depuis l’univers du cinéma ce n’est donc pas un hasard. Si l’affaire de plusieurs viols par un puissant homme d’affaire, producteur de surcroit, en est à l’origine cela n'est pas une surprise non plus. Le hashtag #MeToo faisait écho à celui de Tarana Burke, américaine afrodescendante dont la voix n’était pas aussi claire que celle de l’actrice blanche Alyssa Milano pour dénoncer les agressions sexuelles.

Le male gaze est bien entendu transnational.  Le film de Abdellatif Kechiche, La vie d’Adèle (2013) est un parfait exemple du male gaze situé en France. Bien que les spectateurs et spectatrices soient plongé-e-s dans une histoire d’amour lesbienne, le regard porté sur ce couple n’est qu’érotique et l’intimité de ce couple de jeunes femmes n’est montré que par le biais d’une sexualité fictionnelle. Le scène de sexe illustre parfaitement le regard désireux d’un homme hétérosexuel face à un objet fantasmé - le couple lesbien. Ces scènes se rapprochent davantage de scènes de films pornographiques que de scènes voulant représenter une catégorie de la population. De plus, le personne d’Adèle, est une lycéenne, les spectateur et spectatrices sont donc amené-e-s à désirer une jeune fille mineure. Inspiré d’une bande dessinée : Le bleu est une couleur chaude (2010), le film de Abdellatif Kechiche ne revient pas sur les subtilités de celle-ci. Celle de la découverte de l’homosexualité, du désir etc. Le film d' Abdellatif Kechiche est une adaptation très personnelle de la bande dessinée.  ​

La journaliste et critique de cinéma Iris Brey (1984), questionne ce regard masculin dans son ouvrage Le regard féminin, une révolution à l’écran (2020) et tente de montrer que cette perspective peut être renversée, notamment en traitant avec empathie les personnages féminins comme sujets d’une histoire. C’est ce basculement qui pour Brey mérite d’être qualifié de female gaze ou regard féminin qu’elle propose. Dans son essai, elle propose six questions pour savoir si un film adopte un regard féminin :

1) est-ce que le personnage principal s’identifie comme femme ?

2) est-ce que l’histoire est racontée du point de vue du personnage principal ?

3) est-ce que l’histoire remet en cause l’ordre patriarcal classique ?

4) est-ce que la mise en scène permet au spectateur ou à la spectatrice de ressentir l’expérience féminine ?

5) si les corps sont érotisés, est-ce que le geste est conscientisé ?

6) est-ce que le plaisir du spectateur est produit par autre chose qu’une pulsion scopique (= posséder l’autre par le regard) ?

Iris Brey tend à souligner l’intérêt de ne pas être systématiquement une femme pour adopter un regard féminin. Bien que dans le Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma de 2019, le spectateur et la spectatrice puisse ressentir et partager les sentiments qu’éprouvent les personnages (histoires d’amour entre Héloïse et Marianne, avortement de Sophie), le spectateur, selon Brey, peut retrouver ce regard dans d’autres films comme dans Titanic de James Cameron de 1997, où, le personnage de Jack n’est pas montré comme un homme viril et dominant. De plus, le personnage de Rose est un personnage fort du film, vu comme indépendant et altruiste (sauvetage de Jack). La proposition pédagogique de Brey est une vulgarisation généralisante périlleuse néanmoins.

En effet, s’il parait nécessaire, pour une société plus égalitaire, de questionner les regards cinématographiques, à la fois comme perceptions représentatives de la société contemporaine mais aussi édifiantes des rapports sociaux, la polarisation des regards d’un point de vue genré ne semble pas porter en elle de grandes alternatives. « Le problème de l’adjectif féminin employé dans l’expression " regard féminin " (plutôt que regards des femmes ou préférablement « regard féministe ») est qu’il reconduit la différence sexuelle comme norme en passant sous silence les questions liées à la race, par exemple", explicite Emilie Notéris. La posture de Brey n'est par ailleurs pas complètement nouvelle et est endettée auprès de nombreuses critiques féministes comme Teresa de Lauretis ou Mary Ann Doane. Celle de Brey se veut égalitariste, occidentale et beaucoup plus polarisante et binaire que celle d’autres critiques féministes, qui circulent moins dans les médias. Parmi elles, bell hooks contribue à la question avec la notion de « regard oppositionnel » qui porte en elle une puissance de résistance au « male gaze » autrement effective, bien que moins médiatisée.  

                 

 

Filmographie
  • Cameron J. (1997).Titanic de James [Film]. Paramount Pictures, 20th Century Fox, Lightstorm Entertainment.

  • Kechiche A. (2013). La vie d’Adèle [Film]. Quat'sous Films, Wild Bunch.
  •  Sciamma C. ( 2019). Portrait de la jeune fille en feu [Film]. Arte, Hold Up Films.

Références bibliographiques :
  • Brey I. (2020). Le regard féminin. Une révolution à l’écran. Éditions points.

  • Notéris, E. (2020). "Pour un regard féminin", débordements, 20 février. En ligne : https://debordements.fr/pour-un-regard-feministe

  • Mulvey, L. (1975). "Visual pleasure and narrative cinema". Screen. 16 (3): 6–18. 

  • Mulvey, L., & Castro, T. (2017). Au-Delà Du Plaisir Visuel. : Féminisme, énigmes, cinéphilie. MIMESIS.

  • Mulvey, L. (2019). Fétichisme et curiosité (Mélère G., Trad. 1è éd.). BROOK.

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Iris Brey nous explique les différences entre le male et le female gaze, 5 juin 2021

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Le bleu est une couleur chaude (2010), bande-dessinée de Julie Maroh adaptée par Abdellatif Kechiche au cinéma en 2013 dans La vie d'Adèle

Iris Brey, "Le regard féminin, un regard visionnaire". 

Iris Brey, The lesbian Gaze, 08/10/2021 at Cinematek

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