Racisme
Par Farah TAOULI (mai 2024)
« Ce qui fonde le pouvoir des Uns est, en premier lieu,
la capacité de nommer les Autres »
(Delphy, 2008)
Définition
Le terme de racisme est considéré comme un terme relativement récent dans l’histoire. Il est utilisé en France et Royaume-Uni dès la fin du XVIIIe pour évoquer le racisme scientifique. Ce dernier est une classification qui permet d’établir des « races », c’est-à-dire des groupes humains qui se distinguent selon des caractéristiques biologiques et physiques, notamment la couleur de la peau. C'est cette approche excluante et hiérarchique de la distinction raciale qui a en effet permis de penser l’esclavagisme, et de réduire les populations autochtones, également appelées « indigènes » comme des êtres ne possédant pas d’âme contrairement aux blancs venus d’Occident.
Le racisme a inspiré des idéologies comme le nazisme qui ont mené à l’extermination des populations juives et tziganes en Europe dans les années 40. La notion de racisme a aussi été responsable dans les années 50 et 60 de la mise en place de l’Apartheid en Afrique de Sud. Ce n’est que dans les années 60, que l’UNESCO impose un programme d’action contre le racisme afin d’éradiquer cette conception de la supériorité de la race. Pourtant il ne se passe pas un jour sans que le racisme ne fasse la une d’une presse internationale concernée par ses méfaits.
La représentation cinématographique du racisme
Alain Agat précise que “Le racisme ne peut être évoqué sans un regard sur le contexte politique dans lequel a évolué le cinéma.” (Agat, 2021). De fait, l’essor du cinéma se fait pendant une période coloniale qui viendra traduire les effets du racisme sur l’écran, tels que la peur du métissage, les rapports de domination et de dévalorisation ou encore la violence de la colonialité du pouvoir. Les « aspects primitifs » des « indigènes » sont surreprésentés afin de dissuader les blancs de se mélanger avec ces personnes considérées comme inférieures et une propagande de blanchiment se met en place. Princesse Tam Tam (Edmond Gréville,1935) évoque l’histoire d’une princesse indigène jouée par Joséphine Baker. Ridiculisée voire infantilisée, elle se dresse comme une figure colonisée par les modes de vie occidentaux. Ce cinéma de la représentation des colonisées rend également compte de la peur de l’étranger.
En France, es années 80, furent marquées par un désir de pluralisme dans le vivre ensemble, désir défendu par SOS Racisme et largement soutenu par la Marche des Beurs de 1983. Aussi, le cinéma voit éclore de nouveaux visages sur ses écrans, à l’image de Pascal Légitimus ou encore d’Isaac de Bankolé. Le cinéma appaise alors la menace des mouvements d’extrême droite, et embrasse un idéal multiculturel, avec ses couples interraciaux.
La vision cinématographique du racisme entre les années 80-2000 évolue avec des représentations de couples multiculturels dans des perspectives intersectionnelles. Romuald et Juliette (1989, Coline Serreau) raconte l’histoire d’amour entre un chef d’une entreprise laitière (Daniel Auteuil) et sa femme de ménage noire (Firmine Richard), qui accepte d’héberger son patron en proie à des soucis avec la brigade financière. Apparaissent aussi des films coups de poings comme La Haine (Mathieu Kassovitz, 1995) qui soulevent la question de la légitimité de la violence de l'État en s'inspirant d'un fait réel : l’histoire vraie de l’assassinat de Makome M’Bowolé par un policier lors d’une garde à vue.
Si le cinéma se prête à arborer une vision favorable du néolibéralisme multiculturel avec une dépolitisation du politique (Bolados Garía, 2014) propice aux stigmatisations raciales, celles-ci ne cessent de se reproduire à l’ écran. L’émancipation des personnages racisés et la fin des représentations caricaturales des banlieues ou issues de l’immigration finit par voir le jour dans le débat public en France.
Le cinéma sur l’éducation tend à traiter le racisme avec des sujets en lien avec les rapports sociaux, genrés ou ethniques pour la richesse des possibles que ces thématiques offrent dans une démarche qui se veut généralement émancipatrice. Le téléfilm Building Bridges. The Story of Ruby Bridges [Ruby Bridges] (Euzhan Palcy, 1998) raconte l’histoire de la première enfant noire à avoir intégré une école pour les blancs à l’époque où la ségrégation domine encore aux Etats-Unis. Le film Écrire pour exister (Richard LaGravenese, 2007) aborde la question du communautarisme ethnique entre les dites minorités américaines au XXIème siècle.
Le couple pérennise son existence à l’écran comme l’ une des métaphores du conflit racial et la thématique de la famille interratiale s’ouvre au genre de la comédie.
Les films Nos Frangins (Rachid Bouchareb, 2022), Les Misérables (Ladj Ly, 2019) ou encore La Rafle (Roselyne Bosch, 2010), Twelve Years a Slave (Steve McQueen, 2014), Hariet (Kassie Lemons, 2019), La Couleur des sentiments (Tate Taylor 2011) ou encore Les Figures de l’ombre (Theodore Melfi, 2017) traitent tous de différentes formes de racisme : de la considération des femmes noires au sein de la NASA (Melfi, 2017) à la question des violences policières urbaines (Ladj Ly, 2019).
En France, La Marche (2013) de Nabil Ben Yedir, avec Jamel Debbouze et Tewfik Jallab en tête d’affiche, a permis de mettre en avant la question de la lutte contre le racisme, au travers de la représentation de la célèbre marche de 1983. Cette dernière a été organisée à la suite d’un énième crime racial, celui du petit Toufik Ouanes en 1983. Âgé de 10 ans, il est abattu par son voisin qui lui tire dessus depuis sa fenêtre, alors qu’il jouait dehors. Cette marche partie de Marseille pour rejoindre Paris avait pour but d’alerter sur la montée du racisme en France, et de nombreuses personnalités publiques avaient participé à l’arrivée triomphante de plus de 100 000 personnes pour s’unir contre le racisme.
Malgré les possibilités que le cinéma offre pour dénoncer différentes formes de racisme, il peut aussi devenir un vecteur d’idéologies racistes. Le manque de représentation de la diversité dans l’industrie du cinéma lui a d’ailleurs été reproché, pour son cumul de distributions exclusivement blanches qui a fait du racisme dans cette industrie culturelle un mode de fonctionnement assumé.
Au Canada, Black Panther (Ryan Coogler, 2019), avait d’ailleurs suscité un fort engouement au sein de la communauté noire, car pour la première fois dans un film de la franchise Marvel, la distribution d’un film ne comptait exclusivement que des acteurs noirs. La société de production Disney produit elle aux Étas-Unis en 2018, Vaiana, représentant pour la première fois dans un dessin animé la communauté des îles du Pacifique. La petite sirène (Robb Marshall, 2023) est joué par une actrice noire et le live action de Disney, Mulan (Niki Caro, 2022), a un casting exclusivement asiatique. Ces dernières initiatives montrent une volonté d’effacement définitif des orientations racistes des films d’animation entre les années 30 et 50, parfois très péjoratifs.
Néanmoins le risque de se voir racisé•e•s reste très fort pour nombre d’actrices et d’acteurs, comme Sabrina Ouazani en France ou America Ferrera qui le revendique dans son cas aux États-Unis.
Filmographie
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Gréville E. (Réalisateur), (1935). Princesse Tam Tam [Film]. Production Arys.
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Kassovitz M. (Réalisateur), (1995). La Haine [Film]. Les Productions Lazennec.
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Palcy E. (Réalisatrice), (1998). Building Bridges. The Story of Ruby Bridges. [Ruby Bridge] [Film]. Marian Rees Associates et Walt Disney Television.
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LaGravenese R. (Réalisateur), (2007). Freedom Writer. [Ecrire pour exister] [Film]. Double Features Film.
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Bosch R. (Réalisatrice), (2010). La Rafle [Film]. Légende Films.
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Taylor T. (Réalisateur), (2011). La Couleur des sentiments [Film]. Dreamworks Pictures.
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McQueen S. (Réalisateur), (2013). Twelve Years Slave [Film]. Regency Enterprises.
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Ben Yadir N. (Réalisateur), (2013). La Marche [Film]. EuropaCorp.
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Melfi T. (Réalisateur), (2016). Les Figures de l’ombre [Film]. Chernin Entertainment.
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Clements R./ Musker J. et Hall D. (Réalisateurs), (2016). Vaiana [Film]. Walt Disney Pictures.
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Coogler R. (Réalisateur), (2018). Black Panther [Film]. Marvel Studios.
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Caro N. (Réalisatrice), (2020). Mulan [Film]. Walt Disney Pictures.
Références bibliographiques
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Agat, A. (2021). Racisme et représentation noire dans le cinéma français. Hommes & Migrations, 1334, 198-199. https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.13053
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Cortana, L. (2020). « Viens chez moi j’habite avec un.e Noir.e. » Hospitalité et couples interraciaux dans le cinéma français. Communications, 107, 77-88. https://doi.org/10.3917/commu.107.0077
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Conesa, P. (2018). Hollywar: Hollywood, arme de propagande massive. Robert Laffont.
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Elena, A. (2014). Chapitre 7. L’Autre colonial : dérives du cinéma espagnol avant la Transition démocratique. In Pietsie Feenstra éd., Le cinéma espagnol: Histoire et culture (pp. 122-134). Paris: Armand Colin. https://doi.org/10.3917/arco.feens.2014.01.0122
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Mimoun, M. « Le cinéma contre le racisme », Hommes & migrations [En ligne], 1330 | 2020. https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.11608
Bande-annonce de Building Bridges [Ruby Bridge] (Nabil Ben Yedir, 2013)
Bande-annonce de La couleur des sentiments (Tate Taylor, 2011)
Bande-annonce de La marche (Nabil Ben Yedir, 2013)
Bande-annonce de Black Panther (Ryan Coogler, 2016)